Ce site web est un hommage à un grand peintre libanais de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle et à ses confrères de « l’École Marine » appelée par certains «l’École de Beyrouth » , et qui ont été, avec d’autres peintres, les fondateurs de la « Renaissance Artistique Arabe » à l’instar de la « Renaissance Culturelle Arabe » marquant la peinture libanaise pendant plus d’un demi siècle.
Sa Biographie
Ibrahim Serbaï naquit en 1865 dans une famille aisée, à Aïn el Mreisseh, un quartier maritime de Ras Beyrouth. Il fit ses études dans les écoles de Beyrouth et étudia ensuite le dessin et la peinture à “l’École du Sultanat Ottoman” à Bachoura, quartier de Beyrouth, se maria et resta sans descendance. D’après son petit-neveu, Me. Amine Areissi, il aurait visité les Etats-Unis en vu d’approfondir ses connaissances en peinture . Il décéda en 1931.
LES PREMIÈRES ÉCOLES DE PEINTURE AU LIBAN:
Serbaï fut l’un des pionniers de “l’École Marine” de peinture, appelée par certains “l’École de Beyrouth”,voire “L’École Sunnite de Beyrouth” composée principalement, d’une pléiade de peintres majoritairement musulmans sunnites, bourgeois, natifs de Beyrouth durant la seconde moitié du 19ème siècle. Citons, bien entendu Ibrahim Serbaï, mais aussi Ali Jammal, Hassan Tannir, Dimashkié, Toufic Tarek (1875-1940) et d’autres. Même Salah Lababidi (1898-1985) et Mostafa Farroukh (1901-1957) ont été considérés les “échos” dans la lignée de cette École. Certains vont même, jusqu’à “identifier” Habib Srour (1863-1938) à cette École, surtout qu’il a appliqué la même précision dans ses tableaux et portraits et qu’il a enseigné la peinture à “L’École du Sultanat Ottoman” de Bachoura à Beyrouth. (Voir tableau synoptique dans la page de “L’École Marine”du site).
Bien que l’émergence d’une peinture sunnite libanaise remonte aux débuts du 19ème siècle, avec les élèves officiers topographes beyrouthins de l’armée ottomane, cependant “L’École Marine” de peinture n’a vu le jour que dans la seconde moitié du 19ème siècle. Elle a indiscutablement marqué pendant plus d’un demi-siècle notre peinture nationale, jusqu’à l’arrivée, après la guerre 14-18, des grands bouleversements de la peinture mondiale avec “L’École Impressionniste” institutrice des nouvelles conceptions de l’espace, de la composition et de l’éclatement des couleurs.
La peinture de “L’École Marine” était distincte de la peinture religieuse chrétienne, amorcée dans les couvents de la montagne libanaise vers la fin du 17ème siècle avec Boutross Koberssi (1664-1744), Youhanna Armani, Ibrahim Kerbaj et d’autres moines. Elle était différente aussi de “l’École de Dlebta”, peinture toujours religieuse, avec Moussa Dib (1730-1823)e et son neveu Kanaan Dib (1801-1882) du 18ème et 19ème siècle.
La peinture de “l’École Marine” était surtout démarquée de “la peinture résultante des études académiques de Rome” (terminologie du Dr. Maha Sultan), de la fin du 19ème et des débuts du 20ème siècle, avec Daoud Corm (1852-1930), Habib Srour (1863-1938), Philippe Mourani (1875-1970), Youssef Howayek (1883-1962) et beaucoup d’autres brillants peintres. Ces derniers n’ont pas seulement peint le Christ, la Vierge Marie, bon nombres de saints et hommes d’église, des fresques de couvents et de cathédrales, mais ont traités une large fourchette de thèmes allant des paysages et des natures mortes jusqu’aux nus.
Mis à part les moines, tous ces peintres pionniers, y compris ceux de “l’École Marine”, n’ont pas manqué, pour des raisons purement pécuniaires, de brosser tous genres de portraits de personnes aisées de nationalités multiples : Libanaises, turques, syriennes, égyptiennes et de beaucoup d’autres. Le portrait ordinaire était payé à partir de dix livres or osmanlis (environ 1500 Euros actuels). Certains peintres refusaient parfois de signer ces portraits, pour ne point dévoiler l’aspect mercantile de leur art.
D’autre part le grand artiste Mostafa Farroukh (1901-1957), qui possède plusieurs milliers de tableaux à son palmarès et qui a été considéré, à ses débuts, comme l’un des “échos” de “l’École Marine“, dans une de ses conférences au “Cénacle Libanais“ en date du 14 Septembre 1947, parle de la “Renaissance Artistique”(Arabe) au 19ème siècle, à l’instar de la “Renaissance Culturelle“ (Arabe). Il affirme qu’un groupe d’artistes était l’artisan de cette Renaissance. Sans distinguer entre les écoles de peinture, il nomma Abdallah Zakher, Kanaan Dib, Négib Chucri et Négib Fayad. Il désigna ensuite, Ibrahim Serbaï, et fut le premier à comparer sa peinture à celle de Canaletto (1697-1768), grand peintre et graveur de “L’École Vénitienne”, chroniqueur de la vie quotidienne sur les canaux de Venise, et dont 6 de ses oeuvres sont exposèes au musée du Louvre à Paris. Puis il cita Dimashkié, Saïd Merhi, Ali Jammal, Sélim Haddad et Négib Bakhazi. Enfin il remonta au “deuxième groupe” qui a été le promoteur des voyageurs en Europe pour étudier la peinture sous les auspices des grands maîtres, et désigna Raïf Chaddoudi, Daoud Corm, Habib Srour, Khalil Saliby, Gibran Khalil Gibran (en tant que dessinateur) et Makaroff Fadel, ébauchant succinctement leur parcours artistique. (Voir extraits de la conférence de Farroukh au “Cénacle Libanais” dans la page “Bibliographies” du site)
LES RACINES DE “L’ÉCOLE MARINE”.
Quant aux peintres de “l’École Marine”, ils dessinaient et peignaient selon la tradition turque, héritière des miniatures perso-ottomanes, mais ont surtout été, nettement influencés, par les orientalistes et paysagistes voyageurs européens (anglais, français, et italiens) installés ou de passage en Orient et à un degré moindre, par les peintres de la Renaissance.
M. Edouard Lahoud, par exemple, dans son livre “l’Art Contemporain au Liban” et M. Abdallah Naaman dans “La Petite Histoire de la Peinture au Liban”, optent comme Farroukh dans sa conférence, pour la grande ressemblance des tableaux d’Ibrahim Serbaï à ceux du très grand peinture et graveur Canaletto.(voir extraits des livres de Lahoud et Naaman dans la page “Bibliographies” du site)
Tout comme le Dr. Maha Sultan qui ajoute dans l’introduction :”Sur les Rives des Débuts – L’École Marine au Liban” de son livre: “Des Pionniers de la Renaissance des Arts Plastique au Liban – Corm, Srour, Salibi – Ed. Kaslik – Liban – 2006.”, où elle écrit se référant à Farroukh : “…Il (Serbaï) nous rappelle les toiles du plus éminent des peintres de Venise Canaletto, dont les toiles occupent, aujourd’hui, les cimaises des plus importants musées du monde. Quant aux toiles de notre artiste Serbaï le beyrouthin elles se sont figées au fond de l’anonymat et occupent les recoins les plus obscurs.”(Lire toute l’introduction “L’École Marine au Liban” du Dr. Maha Sultan dans la page ” Bibliographies” du site)
En bons musulmans, et ne pouvant peindre des images religieuses (de l’Islam), ces artistes se sont orientés vers les paysages, maritimes surtout, qui les ont toujours fasciné, les natures mortes et les portraits d’hommes ordinaires contournant “vénièlement” l’interdit supposé de la représentation physique dans l’Islam.
Serbaï, a peint durant son pèlerinage, la Mecque et un oasis d’Arabie, deux tableaux, dont on a perdu, comme d’autres, la trace.
D’après Me. Areissi, qui avait vanté leur haut niveau artistique, ils auraient été déchiquetés lors d’un bombardement durant la guerre libanaise. Serbaï a peint nombre d’autres portraits et tableaux, mais il faut se demander, s’ils sont toujours accrochés dans les maisons des familles libanaises.
LA COMPOSITION PICTURALE DE “L’ÉCOLE MARINE”.
“L’École Marine” est très peu documentée, mal répertoriée, comme l’a si bien constaté M. Michel Fani dans son fameux “Dictionnaire de la Peinture Libanaise”, à l’inverse de tous les autres peintres et “Écoles” de la même période, massivement archivés.
Les peintres de “l’École Marine”, dont certains étaient des officiers en fonction, n’ont pas été prolifiques, quelques tableaux pour chacun, dont certaines toiles ont fini par craqueler et s’abimer avec les années, à cause de la grande humidité et de la chaleur élevée de l’atmosphère beyrouthine et surtout de la méconnaissance des moyens de leur conservation et la non estimation de leurs vraies valeurs. Peu de tableaux à notre connaissance ont été restaurés et sont encore bien conservés.
Ces artistes, illustrent une peinture picturale, figurative agréable, sereine, envoûtante et soignée voire minutieuse, anxieuse de méticulosité. Elle rejoint les plans et les photographies militaires soucieux du moindre détail, donnant ainsi une dimension de réalité rivalisant avec la photographie. D’ailleurs les dessins des bateaux figés sur les vagues, ne sont que de vraies tentatives de rapprochement entre la peinture et la photographie.
Même les couleurs sont sobres, ni vives, ni criardes, rien d’éclatant, plutôt réelles, puisées du paysage lui-même, de la pierre, de la mer, du ciel, des fruits ou du modèle. Ses couleurs, ses clairs- obscurs, ont valu à cette peinture son charme, son raffinement, son harmonie, sa saveur et sa suavité orientaux.
IBRAHIM SERBAI ET AUTRES PEINTRES HISTORIQUES
Certains des peintres de “l’École Marine” étaient engagés socialement et politiquement, dans le contexte de l’époque. Ils avaient choisis des évènements historiques à la manière du français Louis David (1748-1825) qui immortalisait les évènements de son époque, comme par exemple, le sacre de Napoléon Bonaparte et l’assassinat de Marat.
Dans cet objectif, Ibrahim Serbaï s’était intéressé à la période concernant la première remise en état des temples de Baalbeck, suite à la visite de l’empereur allemand Guillaume II au Liban allié de l’empire ottoman. Il a peint tout d’abord en 1895 ou 1896 (“1312” de l’hégire comme annoté sous sa signature sur la toile), un grand tableau (huile de 150×90cm) appelé et représentant “Balbek” entouré des remparts construits par les Arabes en 636, avec des détails saisissants et un autre en 1898, appelé “La Réception de Guillaume II port de Beyrouth” (huile de 130 x 70cm) avec tous les apparats de l’évènement. Cet empereur, ébloui par les vestiges de Baalbeck, avait dépêché après sa visite au Liban, une expédition archéologique pour le déblaiement du sable et le dégagement des décombres qui avaient presque ensevelis les lieux.
Pour la petite histoire, bien que le second tableau, a toujours été appelé “La Réception de Guillaume II au Port de Beyrouth”, cependant il a été peint, lors du départ de l’empereur, après son séjour au Liban. Il était arrivé le 10 novembre 1898, par voie de terre, suite à son pèlerinage et à l’inauguration de l’église protestante du Saint-Sauveur à Jérusalem, d’où il avait regagné Damas, puis Zahlé par train et Baalbeck à cheval. Il avait ensuite inauguré la plaque commémorative offerte par son ami et allié le sultan turc Abdel Hamid II, qu’il avait rencontré trois semaines durant à Istambul, avant sa visite de Jérusalem. Plaque de marbre qu’on peut toujours admirer, bien qu’en 1918, le général anglais Allenby, qui avait battu et chassé les turcs, donna l’ordre de l’enlever et d’effacer les noms et les titres du couple impérial allemands. En 1970, elle fût restaurée et raccrochée à sa place. Guillaume II, après la visite des lieux, regagna l’hôtel «Grand Hôtel d’Orient » à Ras Beyrouth (devenu en 1920 l’hôtel Bassoul), puis le port de Beyrouth pour s’embarquer enfin à bord de son grand paquebot le « SMY Hohenzollern II » accompagné de la flotte d’escorte, distinctement accostés au port sur le tableau de Serbaï et quitter pour Pula en Istrie.
Encore un peintre de “l’École Marine”, Dimashkié a peint en 1893, un autre évènement de l’époque, et ce selon Mostafa Farroukh, le grand peintre considéré comme un des “échos” de cette école. Au cours de sa fameuse conférence au “Cénacle Libanais” en 1947, Farroukh raconte que Dimashkié a peint en 1893, “Le Naufrage du Victoria” le cuirassé anglais, échoué, suite à une fausse manœuvre au large de Tripoli et dont on a récemment retrouvé l’épave, qui est paraît-il, est un vrai régal pour les plongeurs. Qualifiée de “Mont Everest des Épaves”, parce que, unique au monde, elle avait plongé verticalement et a sombré a 145 mètres sur le sol marin et sa poupe et ses hélices se trouvant à 77. (L’Orient – Le Jour du 10/12/2009). Mais le tableau de Dimashkié reste toujours introuvable.
Quant à Sélim Haddad, un autre peintre de “l’École Marine”, mais de confession chrétienne grecque-orthodoxe, a peint en Egypte, les portraits d’importantes personnalités politiques, artistiques et littéraires, comme Ibrahim Pacha Négib (Homme politique), Béchara et Sélim Takla (frères fondateurs du principal journal égyptien “Al Ahram”), Yaacoub Sarrouf (écrivain) et beaucoup d’autres.
L’HÉRITAGE ARTISTIQUE DE SERBAÏ :
Ibrahim Serbaï ce grand artiste, engagé, est l’un des pionniers et fondateur de « l’École Marine » au Liban et dont il nous reste hélas peu de traces et de tableaux. Il a été le chroniqueur de la visite de l’empereur Guillaume II au Liban à la fin du 19ème siècle, “sauveur”, après des siècles d’iconoclasmes, de pillages et de vandalismes, de l’un des plus importants vestiges de la planète.
Il reste, à notre connaissance, fort heureusement, six œuvres maîtresses de ce grand peintre :
1-La première toile, très impressionnante, de 150 x 90 cm., représentant « Baalbeck », peinte en 1895 ou en 1896 et se trouve actuellement chez un particulier.
2- Quatre autres toiles d’environ 135 x 70cm. de “La Réception de Guillaume II au Port de Beyrouth”. Serbaï a peint quatre copies de cette œuvre fascinante avec quelques différences mineures dans le dessin et les dimensions. Nous n’en connaissons que trois d’entre elles. Deux se trouvent chez des particuliers et la troisième dans les bureaux de la direction du port de Beyrouth.
Ce dernier tableau, initialement exposé à la villa-musée de feu Henri Pharaon, grand mécène et collectionneur d’objets d’arts, au quartier Kantari de Ras Beyrouth, a été offert par celui-ci à la direction de la Compagnie du Port de Beyrouth durant la période où il était P.D.G.
3-Le sixième tableau (non signé), est une remarquable vue du front maritime de Ras Beyrouth. C’est une toile de 200 x 70 cm., avec des détails impressionnants. D’après M. Michel Fani, dans son « Dictionnaire de le Peinture Libanaise » (P.359-360), qui affirme qu’il s’agit bel et bien d’un Serbaï et qu’il fut accroché un siècle durant au « Grand Hôtel d’Orient » devenu en 1920 le fameux hôtel « Bassoul » à Ras Beyrouth. Il fait actuellement partie d’une collection privée.
(Voir les tableaux, leur signature et les descriptions sous la page “Ses Tableaux” de ce site.)
D’ailleurs deux de ces tableaux ont été récemment accrochés aux murs du musée Sursock, durant l’exposition (fin 2015-début 2016) « Regards sur Beyrouth – 160 ans d’images » : Un « Réception de Guillaume II au Port de Beyrouth » et l’autre « Vue de Ras Beyrouth ».
Tous ces tableaux sont toujours en très bons états, vu que la plupart a été restaurée par M. Faddoul Khallouf, l’un des restaurateurs attitrés des musées nationaux français et du musée Sursock au Liban.
Nous demandons au Ministère de la Culture, de hâter la création d’un musée national et permanent des beaux-arts en vue d’exposer et de présenter au grand public nos inestimables trésors du patrimoine artistique national.
NDLR :
Nous souhaitons que tous les propriétaires de tableaux, dessins, autres documents et même informations concernant Ibrahim Serbaï ou n’importe quel autre peintre de “l’École Marine”, de nous contacter en considérant ce site web, comme le tout premier pas, pour la documentation de ces grands peintres du 19ème et du début du 20ème siècle.
N.B : Pour un plus grand nombre de détails et de précisions, et pour la vision de certains des tableaux de tous les peintres ci-haut cités, il est fortement conseillé de les rechercher dans le « Dictionnaire de la Peinture Libanaise » de M. Michel Fani aux éditions « Michel De Maule », qui nous donne une vision bien précise et bien professionnelle de nos grands artistes.
BIBLIOGRAPHIE :
1-“Des Pionniers de la Renaissance de l’Art Plastique au Liban – Corm, Srour, Salibi 1870 – 1938 ” du Dr. Maha Azizé Sultan. Editions Kaslik – 2006.
2- « Dictionnaire de la Peinture Libanaise » de Michel Fani – Éditions
Michel De Maule.
3-Conférence du peintre Mostafa Farroukh au « Cénacle Libanais » le
14 septembre 1947.
4-« L’Art Contemporain au Liban » – Edouard Lahoud – Dar Al
Mashrek.
5-« La Petite Histoire de la Peinture au Liban » – Abdallah Naaman.
6-« Héliopolis – Baalbeck 1898-1998 – A la découverte des ruines »
Direction Générale des Antiquités au Liban.
7-« L’Épave du Victoria au large de Tripoli, un trésor sous-marin et
une vedette médiatique » Charlotte Séguin – L’Orient-Le Jour du
10 décembre 2009.
8-« Le grand méconnu : Ibrahim Serbaï, peintre libanais du XIXeme
siècle » – Nicole Malhamé Harfouche – La Revue du Liban du 3 au
10 novembre 2007.
9-« Baalbek Berceau des Dieux » – Michel Hariz.